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HORIZON SOCIÉTAL

Comité Local de Développement : en quoi les députés y sont-ils indispensables ?

Comité Local de Développement : en quoi les députés y sont-ils indispensables ?

Le Comité Local de Développement (CLD) a été instauré, à Madagascar, du moins en toute légalité, en vue de promouvoir le processus de décentralisation. Géré au niveau des districts, conformément aux dispositions de la loi n° 2015-024 du 17 novembre 2015 portant octroi de Fonds Local de Développement, il a été créé au profit des collectivités territoriales de base, les communes. Mais si on se penche vers son fonctionnement et le choix de ses membres, on se pose plusieurs questions tenant à sa véritable nature.

Les concepts de base

            La Constitution de 2010 considère que « la mise en œuvre de la décentralisation effective, par l’octroi de la plus large autonomie aux collectivités décentralisées tant au niveau des compétences que des moyens financiers » constitue l’une des « conditions de l’épanouissement de la personnalité et de l’identité de tout Malagasy… facteur du développement durable et intégré ». Elle stipule dans ses principes fondamentaux que « la République de Madagascar est un État reposant sur un système de collectivités territoriales décentralisées composées de Communes, de Régions et des Provinces dont les compétences et les principes d’autonomie administrative et financière sont garantis par la Constitution et définis par la loi » (Art 3).

Dans l’article 139, « Les collectivités territoriales décentralisées, dotées de la personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière, constituent le cadre institutionnel de la participation effective des citoyens à la gestion des affaires publiques et garantissent l’expression de leurs diversités et de leurs spécificités ».

Dans l’article 140, « L’État veille au développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales décentralisées sur la base de la solidarité nationale, des potentialités régionales et de l’équilibre interrégional par des dispositifs de péréquation…. Des mesures spéciales seront prises en faveur du développement des zones les moins avancées, y compris la constitution d’un fonds spécial de solidarité ».

Dans l’article 146 « L’État s’engage à mettre en œuvre les mesures suivantes :

(1) une répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales décentralisées ;

(2) une répartition des ressources entre l’État et les collectivités territoriales décentralisées ; (3) une répartition des services publics entre l’État et les collectivités territoriales décentralisées.

  • La décentralisation

C’est le transfert réel des compétences, des pouvoirs et des ressources financières du niveau central au niveau local, en vue de permettre à la population de participer activement à la gestion de leur localité et de promouvoir un développement local. Ses principales caractéristiques sont les suivantes :

- cadre juridique défini

- autonomie de gestion

- participation des populations

- promotion d’espaces locaux de concertation et de coordination

- administration plus proche du citoyen

- gouvernance par des élus

  • La développement local

C’est le processus de changement endogène au mieux de la situation d’une entité territoriale décentralisée (ville, commune, secteur) structuré autour des actions valorisant les potentialités locales tout en s’intégrant dans le monde économique externe. Il est caractérisé par ce qui suit :

- planification opérative (à la fois ascendante et descendante)

- interdisciplinarité des secteurs d’intervention

- capacités locales éprouvées

- partenariat

- mobilisation et participation de divers acteurs

- meilleure intégration du territoire.

Le développement local ne peut mieux se réaliser que dans un contexte de décentralisation.

Par ailleurs, le mode de gestion de entités territoriales à Madagascar a été marquée pendant plusieurs décennies par l’absence de tout système de planification, de programmation et surtout de concertation de la base permettant d’inscrire les problèmes de développement des villes, des communes, des territoires et des secteurs dans une vision plus large de développement local qui se conçoit comme la mobilisation de l’ensemble des acteurs locaux en vue d’améliorer les conditions économiques, sociales et culturelles du milieu et des individus qui le composent.

 

Les bases constitutionnelles et réglementaires

  • La Constitution du 11 décembre 2010

Depuis l’accession du pays à l’indépendance le 26 juin 1960, des réformes en cascade y ont été opérées tant au plan politique qu’au plan administratif. L’organisation administrative et territoriale a été soumise à des nombreuses et profondes réformes. Elle est actuellement définit par la Constitution de la IVème République qui distingue les communes, les régions et les provinces comme étant les collectivités territoriales décentralisées. L’article 3 dispose que la République de Madagascar est un Etat reposant sur un système de Collectivités Territoriales Décentralisées composées de Communes, de Région et des Provinces dont les compétences et les principes d’autonomie administrative et financière sont garantis par la Constitution et définis par la Loi.

Outre les provinces qui ne sont pas pour le moment fonctionnelles, les régions sont plutôt une structure particulière étant donné qu’elles ne sont pas entièrement des collectivités territoriales à part entière (car les chefs des régions ne sont pas encore des élus). Il n’y a que les communes qui constituent des collectivités territoriales décentralisées effectives. Certes, la commune est le cadre institutionnel pour l'exercice de la démocratie à la base. Elle est l'expression de la décentralisation ainsi que le lieu privilégié de la participation des citoyens à la gestion des affaires locales.

C’est cette Constitution qui a institutionnalisé la décentralisation administrative comme un système d’administration territoriale assurant aux entités territoriales (communes et régions) les pouvoirs de s’administrer librement, et de doter des ressources financières, matérielles et humaines propres gérées par elles mais sous le contrôle de l’Etat (cf. article 142 de la Constitution). Elle a ainsi opéré une forme de l’administration territoriale qui répond aux aspirations unanimes des malagasy à participer effectivement à la gestion de leurs entités les plus proches à même de trouver des solutions de leur environnement direct et immédiat.

  • La loi organique n° 2014-018 du 12 septembre 2014, régissant les compétences, les modalités d’organisation et de fonctionnement des Collectivités Territoriales Décentralisées, ainsi que celles de la gestion de leurs propres affaires

C’est le nouveau cadre fondamental de l’orientation de la politique de la décentralisation à Madagascar en vue de la mise en œuvre de la décentralisation effective et du développement local.

L’article 3 alinéa 2 de cette loi dispose que l’objectif de la décentralisation est d’assurer la promotion du développement du territoire par la recherche d’une plus grande intégration et d’une mobilisation de la population à tous les niveaux. A travers cette disposition, le législateur voulait souligner que la décentralisation se manifeste par la participation de tous en vue de trouver un développement réel pour leurs collectivités. Ce développement local est perçu comme un processus utilisant les initiatives locales à l’échelle des collectivités comme moteur du développement économique. Il est considéré en tant qu’émanation du local inversement au national, à travers une propulsion ascendante, dont les acteurs se situent sur l’échelle de la sphère locale. Il est une démarche impliquée des relations que tissent les acteurs dans la proximité. Cette démarche contribue à produire des marges de manœuvre nouvelles et permet d’expliquer que le territoire est le niveau pertinent pour la réflexion et l’action économique.

L’article 15 al. 2 précise à cet effet que les Collectivités territoriales décentralisées doivent mettre en place uns structure de concertation.

Ceci répond parfaitement à la notion de développement local qui est une dynamique économique et sociale, concertée et impulsée par des acteurs individuels et collectifs - collectivités locales, acteurs économiques, organisations de la société civile, services de proximité et administrations déconcentrées de l’État, etc. - sur un territoire donné. Les populations aspirent à être actives et responsables de leur propre développement. Les interventions d’appui au développement local se fondent ainsi sur la gestion concertée d’un territoire par ses habitants, en intégrant plus en amont leurs besoins et attentes spécifiques et en valorisant leurs projets et leurs initiatives.

En somme, cette loi organique :

  • défini les contours et l’objectif de la décentralisation ;
  • fixe les enjeux et fondements de la décentralisation ;
  • défini les engagements de l’État en engageant une réforme institutionnelle, en vue de promouvoir une politique d’aménagement du territoire adéquate, et en mettant en place un cadre de partenariat Etat/CTD ;
  • détermine les modalités pour atteindre l’objectif du développement participatif, équilibré et harmonieux du territoire de la République dans le cadre de la déconcentration effective et de la promotion de la gouvernance territoriale participative.[1]

 

 

  • La loi n° 2015-024 du 17 novembre 2015 portant octroi de Fonds Local de Développement au profit des collectivités territoriales de base

Historiquement, le Comité Local de Développement a vu naissance tout au début de la Troisième République (en 1993), au temps du régime de Professeur Albert Zafy où son Premier Ministre, Francisque Ravony, en quête de base politique à l’Assemblée Nationale, a soudoyé les députés en leur offrant des véhicules 4x4 et des fonds d’appui au développement local, d’un montant de 60 400 000 ariary gérés directement par les députés eux-mêmes.

Cette pratique a eu un succès politique puisque le président de la République élu en 1998, Didier Ratsiraka, l’a utilisée en augmentant le montant à 80 000 000 ariary. Ce financement a été utilisé pour concrétiser les promesses des députés durant la campagne électorale.

Mais, le président de la République Marc Ravalomanana l’a annulé en 2002 pour une raison de non convenance.

La Quatrième République, sous le régime de Hery Rajaonarimampianina, a repris le fameux CLD via la loi n° 2015-024 du 17 novembre 2015 ; loi qui a été proposé par le député Rémi dit Jao Jean élu à Antsohihy avec une augmentation de 400 000 000 ariary mais qui a été refusé par la HCC.

Malgré cela, les gouvernements successifs depuis 2014 l’ont ramené à 200 000 000 ariary par district (Gouvernement de Jean Ravelonarivo en 2016) avec une augmentation de 25% en 2017. Antananarivo Renivohitra, considéré comme une commune composée de 6 districts, a bénéficié d’un budget 6 fois élevé que ceux des autres districts.

Mais du point de vue de la légalité, cette structure a eu comme fondement la décentralisation et le développement local. Par voie de conséquence, l’idée de décentralisation reste une utopie sans affectation de crédits et des moyens. Aucun pays ne peut, certes, mené un développement cohérent et harmonieux sans que celui-ci soit effectif de bas au sommet et qu’aucune collectivité décentralisée de base ne peut être annihilée ou mal considérée. En outre, le développement local doit faire face à trois principaux enjeux : répondre aux besoins des populations qui ont dorénavant une position active et responsable ; assurer un développement économique et social à l’échelle du territoire et inscrire la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités dans des actions de proximité. C’est dans cet état d’esprit qu’est né le Comité Local de Développement à Madagascar, et cela a été entériné par la loi n° 2015-024 ; loi qui renferme quelques ambiguïtés quant au choix des membres du CLD.

Mais qu’en-est-il exactement dans la pratique ?

Par la loi n° 2015-024 du 17 novembre 2015, il a été créé le Fonds Local de Développement au profit des CTD de base (communes) qui est le mécanisme national de financement des collectivités territoriales décentralisées rendu opérationnel depuis 1993 mais ce n’est qu’en 2015 que le Comité local de développement (CLD), appelé à le gérer, ait été créé légalement. L’Etat malagasy s’est doté de cet instrument pour rendre opérationnelle la politique de décentralisation à travers une allocation aux communes, des ressources nationales provenant de l’Etat central. L’utilisation des ressources mises à la disposition des communes, comme toutes ressources publiques, est assujettie au contrôle des structures de l’Etat compétentes en la matière.

En tant qu’instrument de décentralisation, ce comité a été créé au niveau des districts et dont les communes, qui composent ces circonscriptions administratives, en sont les bénéficiaires. Des programmes de développement intercommunaux sont conjointement élaborés à ce niveau par les membres de ce comité qui est présidé, selon cette loi, par les députés élus au niveau des districts.

L’article 2 de cette loi précise que les membres du CLD sont :

  • le (s) député(s) élu(s) dans la circonscription,
  • le chef du district (représentant de l’Etat),
  • les maires des communes composants le district,
  • le président du Conseil municipal (communal),
  • les représentants de services techniques déconcentrés (suivant les normes exigées par le plan d’urbanisme ou le schéma d’aménagement communal).

Tout compte fait, ce sont les députés qui mènent la danse dans le cadre du CLD. A titre d’illustration, plusieurs cas à travers Madagascar ont pu démontrer son fonctionnement qui, assez souvent, ne correspondait pas aux attentes que les élus locaux espéraient. En effet, plusieurs maires se plaignent de la façon dont les députés, en connivence avec les chefs de district ou les préfets, utilisent ces fonds destinés, en principe, à promouvoir le développement des CTD. Les projets sélectionnés ne correspondent pas aux priorités des communes, car le maire ne fait que proposer des projets pour sa commune, mais ce sont les députés qui décident en fonction de leurs intérêts, et cela, est approuvé par les chefs de district ou les préfets pour une raison financière ou par peur des parlementaires proches du pouvoir. Dans d’autres communes, on a pu constater que les décisions prises au niveau des réunions techniques, en vue d’acheter tel ou tel objet ou d’entreprendre telle ou telle opération, ont été troquées par le président du comité (en occurrence le député) et le gestionnaire d’activité (chef du district) au détriment des communes bénéficiaires. De peur d’être attaqué par ces derniers, les maires ne pouvaient rien faire et ne réagissaient pas. Dans d’autres cas, le choix des projets prioritaires était déjà balisé dès le départ par le député qui disposait  d’une position prépondérante  par rapport aux autres membres du comité. Il existait dans certains districts où la personne responsable des marchés publics (PRMP) était évincée durant le processus de choix des travaux à réaliser ou durant l’accomplissement des travaux. Ce sont le chef du district ou le préfet et le(s) député(s) qui ont pris toutes les décisions alors que les autres membres du comité participent assidument aux différentes réunions. Pour les autres districts de la région Boeny par exemple, des maires des communes concernées se plaignaient du choix des projets réalisés, de la qualité des biens livrés ou du choix des bénéficiaires pris unilatéralement par le député et le chef du district. Certains députés ont même osé demander aux maires de signer la réception des matériels qui ne sont pas encore livrés.

En somme, l’objectif réel des députés, contrairement à celui du Gouvernement, c’est d’exploiter ce fonds en vue de réaliser leurs propres promesses électorales et non les besoins des communautés de base. Le fait d’introduire les députés au sein du Comité Local de Développement (CLD) et les dirigeants politiques (l’Exécutif surtout) a deux objectifs pour l’Exécutif :

  • amadouer les députés dont la fougue n’est plus à démontrer, surtout ceux dits « indépendants » à géométrie variable pour avoir une stabilité politique sûre ;
  • aider les députés proches du parti au pouvoir à satisfaire et à réaliser leurs promesses électorales en vue de renforcer le régime en place.

Par ailleurs, la décision n°033-HCC/D3 du 26 novembre 2015 relative à la loi n°2015-024 portant octroi de fonds local de développement au profit des collectivités territoriales décentralisées de base était très explicite par rapport à certains points.

En effet, le fait de laisser aux députés (parlementaires) et aux préfets/chefs de district (représentants de l’Etat) le soin d’élaborer conjointement les programmes de développement local (des communes), et donc de décider à la place des autorités locales (maires et présidents des conseils communaux/municipaux), remet en cause le principe d’autonomie et celui de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées. Au contraire, il y a immixtion de l’Etat central dans les affaires propres aux collectivités de base en instaurant le contrôle d’opportunité aux autorités de l’Etat contrairement au pouvoir de contrôle de légalité a posteriori qu’ils ont conformément aux dispositions de la Constitution. Au lieu de jouer le rôle de conseil et d’appui technique au sein du CLD, les représentants de l’Etat agissent comme si c’était le leur.

Par ailleurs, conformément à l’article 81 de la Constitution, « le Sénat représente les Collectivités territoriales décentralisées et les organisations économiques et sociales… ». Ce texte sous-entend que les députés ne devraient en aucun cas participer, et encore moins prendre des décisions concernant les affaires locales, car la Constitution n’en a pas prévu cela contrairement aux sénateurs.

Mais qu’il s’agisse de députés – dont la présence frôle déjà l’illégalité – ou des sénateurs, en aucun cas les parlementaires ne devraient pas présider ou prendre des décisions pour le compte des communes car cela porte atteinte au principe d’autonomie et au principe de la libre administration des CTD. Normalement, le comité local de développement, en tant qu’organe de concertation pour le développement local, « doit être présidé par une autorité locale élue et non par un représentant de l’Etat central, qu’il relève du législatif ou de l’exécutif[2] ».

De tout ce qui précède, on est tenté de se poser la question si le régime actuel va continuer de confier aux députés la présidence du CLD et aux députés avec les préfets/chefs de district la mission de prendre des décisions à la place des autorités locales (maires) concernant le développement local, en sachant bel et bien que cela est illégal et piétine le principe de la décentralisation.

 

SAID Ahamad Jaffar

Administrateur civil en chef

Expert en diplomatie et en relations internationales

Mahajanga, le 07 novembre 2019

 

[1] Stratégie Nationale de Développement Local, Ministère de l’intérieur et de la décentralisation, décembre 2015

[2] in Décision n°033-HCC/D3 du 26 décembre 2015

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